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Monday, January 12, 2015

Note de lecture : « Lumière sur les économies souterraines. Crime, trafic, travail au noir ». Editions La Découverte.

L’ouvrage collectif « Lumière sur les économies souterraines », édité par La Découverte (Collection Regards Croisés sur l’Economie, n°14, février 2014, 244 pages), est structuré en trois grandes parties: Les pouvoirs publics face aux « économies souterraines » ; Des enjeux historiques en plein renouveau ; Du marché parallèle à la contre-culture organisée.

1 - Les diverses facettes des économies souterraines
Les économies souterraines, expression désignant les activités (fraude fiscale, prostitution, travail au noir, trafics clandestins, crime organisé…) qui sont soit à la frontière de la légalité, soit carrément criminelles[1], sont analysées ici dans la diversité de leurs acteurs, souvent figures populaires (pirate, hacker, gangster, membre de la mafia)[2] et de leurs dynamiques (économiques et sociales ; rapports entre Etats et économies souterraines[3]).  
Les économies souterraines sont perçues comme des « nébuleuses floues et tentaculaires » (p.9) ; se distinguant des économies conventionnelles (p.9) ; prospérant dans des Etats faibles (p.10) et/ou consentant, corrompus (p.10), dans l’ombre et le mystère (p.9); posant des défis aux pouvoirs publics (p.9) ; représentant un poids économique important (p.9) ; avec des répercussions directes sur les activités économiques et sociales (p.10) : dont les activités sont souvent interconnectées et en réseaux (p.11), et les organisations mouvantes, douées de capacités d’innovation et d’adaptation  rapide et pragmatique des « techniques de production et d’échanges aux contraintes qui s’imposent à ces activités » (p.12). Les conditions d’existence de ces économies sont suspendues à la plasticité des limites, frontières définies par les Etats entre ce qui est légal ou ne l’est pas (p.11) :

Dans son chapitre intitulé « mesurer l’activité souterraine, c’est d’abord définir sa frontière »[4], Sebastian Roché discute la définition de l’économie souterraine. La première partie de l’ouvrage se poursuit sur des articles traitant du petit commerce pornographique entre 1965 et 1971[5]. Les marchés surveillés, contrôlés, sont indirectement structurés (lieux, échanges, rôles, circuits) par l’action policière (p.27). Les marchés sont structurés notamment dans le but d’échapper aux policiers. (p.35)
Les marchés clandestins restent largement dépendants d’acteurs et des réseaux hérités du marché légal (p.41) (comme ce fut le cas des marchés clandestins durant la prohibition aux Etats-Unis) (p.41).
La lutte contre le crime peut exploiter l’analyse des réseaux sociaux. Lorsque le réseau social est important dans le crime, la réduction de ce dernier peut tirer profit de la politique du joueur clé, laquelle consiste à déterminer quel est le criminel qui doit être sorti du réseau pour réduire au maximum la criminalité (p.58) (alors que traditionnellement on cherche plutôt à cibler les criminels les plus actifs ou centraux.
L’ouvrage traite ensuite de la relation pauvreté/corruption ; des relations entre mafias italiennes et Etat ; des relations entre économie et criminalité : de la part de l’économie informelle dans le PIB ; de l’impact économique de l’économie informelle sur la croissance ; de la fraude fiscale (p.143-146) ; des effets des nouvelles formes migratoires transmigration/mondialisation parallèlement à immigration/nation (p.147) ; du travail non déclaré (p.159) ; des relations crime organisé/entreprise (p.163) ; de la criminalité organisée et de la prostitution (p.229-244).

2 - Le cyberespace

2.1. La monnaie
La souveraineté des Etats peut-elle être menacée par le Bitcoin ? (p.122). Il s’agit là d’une monnaie non régulée, sans autorité centralisatrice, garantissant l’anonymat dans les transactions, et qui est un intermédiaire pour les échanges illégaux (p.124). L’enjeu ne semble toutefois pas être l’interdiction de cette monnaie, mais l’introduction de moyens de transparence, de sécurisation pour les utilisateurs, et permettant aux Etats d’exercer un droit de regard/contrôle.

2.2. Les darknets
La contribution de Jean Philippe Vergne et Rodolphe Durant (p.126-139) s’intitule « Cyberespace et organisation virtuelles : l’Etat a-t-il encore un avenir ? ». Elle pose la question du rôle joué par les organisations pirates dans l’évolution des sociétés capitalistes. L’une des hypothèses les plus intéressantes ici consiste à dire que si les pirates contestent les normes imposées par l’Etat souverain, ils contribuent en réalité à coproduire les règles du jeu. Les cyber-pirates joueraient un rôle équivalent, et essentiel, à celui des pirates dans l’évolution du capitalisme depuis la conquête des Amériques par les Européens (p.129). Les auteurs s’intéressent au rôle des darknets du type Sil Road, où tout est déterritorialisé (les échanges, le hardware, les contenus, les acteurs, etc.) Ces darknets, en raison de l’éclatement des acteurs et diverses composantes dans l’espace, sont ainsi présents partout et nulle part (p.128). Ce qui n’est pas nouveau : « les organisations pirates, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, ont toujours été déterritorialisées » (p.134). Les organisations illégitimes prolifèrent et prospèrent dans « cette zone grise où les frontières de la légalité et de l’action légitime restent à déterminer » (p.128). « La piraterie se développe lors des grandes révolutions territoriales, qui sont des moments où les Etats cherchent à contrôler et réguler les échanges associés à la découverte de nouveaux espaces ». Les pirates contestent les positions de monopôle (hier de la BBC, d’AT&T, aujourd’hui de Google, Microsoft, etc.). Le pirate aurait donc une utilité : défendre une cause publique (p.132) : « la reconnaissance du territoire comme bien commun », « la liberté de circuler et d’échanger au sein de ce territoire » (p.132).           

[1] Voir le résumé de l’ouvrage en 4° de couverture
[2] p.9
[3] p.10
[4] Titre du chapitre rédigé par Sébastian Roché, CNRS. p.16-24
[5] Baptiste Coulmont, Police économique : le petit commerce pornographique sous l’œil de la police, 1965-1971, p.25-37

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